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VII


Hier, nous étions quelques-uns, réunis à dîner chez l’Illustre Écrivain. Le sujet de la conversation, vous l’imaginez. On ne parla que de l’affaire Dreyfus, car comment parler d’autre chose en ce moment ? Et quel drame dépasse celui-là, en angoisse et en terreur ?… Il n’y avait là que des gens plus ou moins célèbres, et qui font profession de penser : des intellectuels, comme on dit. Aussi, toutes les sottises, toutes les monstrueuses sottises qui furent récitées, je renonce à les raconter. En quelques minutes d’exaltation patriotique, elles eurent vite atteint à la parfaite, à l’inexprimable beauté où, chaque jour, nous les voyons s’élever dans la presse. J’ignore quel sera le résultat de cette tragique et obsédante affaire. Il en est un, pourtant, qui me semble, dès maintenant, acquis : c’est que le journal n’a plus rien à envier à la loge du concierge. Le journaliste a fait tellement sien le potin stupide, venimeux et délateur, qu’il en a, à tout jamais,