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naille… tu me dois tout… tout… tout !… Ta fortune… tes succès, ta situation dans le monde… tu me les dois… Ce que tu es… le mensonge… l’effronté, le hideux mensonge que tu es… C’est moi qui l’ai fait… Qu’étais-tu donc, quand je suis allée t’arracher aux basses crapules de la vie… à ta sale brasserie… à ta sale choucroute ?… Je t’ai nourri… habillé, décrassé, façonné… Je t’ai donné de l’argent… Je t’ai donné tout… tout… tout ! Oui… ah !… oui !… on ne voyait que moi, partout !… Mais partout je te créais… Du petit morceau de boue que tu étais et que j’avais ramassé dans les ordures du chemin, je faisais peu à peu une statue !… Et je n’avais qu’une joie, moi !… celle de te voir t’élever, t’élever, t’élever !… Misérable !… ma vie, à moi, elle a été tout entière de dévouement, de désintéressement… d’effacement… J’ai rogné, comme une avare, sur mes toilettes, sur ma table, sur les douceurs de mon intérieur, pour te donner, à toi, ce qu’il fallait… Et j’ai fait ce miracle d’imposer à la critique, au public, à tout le monde… l’imbécile, le rien… le dessous de rien que tu es !

L’illustre Écrivain. — Permettez !… Ah ! permettez !…

Mme Beauduit. — Et voilà ma récompense ! Eh bien, soit !… Je m’en vais de ta vie !… Ah ! nous allons rire maintenant !… Je te jure que nous allons rire…