Page:Mirbeau - Chez l’Illustre écrivain, 1919.djvu/267

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’idéal du criminel par qui vous viennent la notoriété et l’avancement, mais quelqu’un de plus malheureux que moi, un être déjà décrié par sa vie antérieure. Et c’était, pour un défenseur de l’ordre et de la société tel que ce juge, une proie meilleure, et par quoi son dilettantisme pouvait se réjouir. Et tel fut le peu d’estime qu’il avait de moi, qu’il ne jugea même pas utile ou glorieux de me confronter avec la victime, ni avec l’assassin… Il me traita, je puis le dire, sans considération, et par-dessous la jambe. Le seul point sur lequel il s’obstina, ce fut, par des détours perfides et aussi par des menaces, de m’arracher une dénonciation précise contre le meurtrier. Vaines furent ses tentatives. Par un sentiment de pitié peut-être, et peut-être par un simple désir de contradiction, j’osai faire l’éloge du camelot, de sa pauvreté, de sa gaieté, de sa complaisance, de ses qualités professionnelles que je jugeai admirables… Je ne sais si le juge comprit l’ironie, mais il interrompit mon éloquence par un : assez ! colère et plein de haine. Et, me félicitant d’en être quitte à si bon marché, il me renvoya… Le soir, j’étais libre !

Je ne voulus pas rentrer à l’hôtel de la rue Princesse, et j’allai dîner chez les vieux amis de ma famille, auxquels je racontai, non sans un certain orgueil, l’incident… Et vraiment, à la pensée que j’aurais pu être un assassin, et, peut-