Page:Mirbeau - Chez l’Illustre écrivain, 1919.djvu/266

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ces deux figurations d’hommes, qui étaient là, devant moi…

Enfin, le juge ayant cessé d’écrire, appuya d’un doigt gras sur un bouton électrique. Un huissier apparut, puis s’en alla chargé de papiers… Et puis, l’homme gras et rose voulut bien remarquer ma présence… Il me regarda d’un regard fixe et sans pensée, se renversa sur le dossier de son fauteuil, inclina sa tête sur sa main chargée de bagues, et, d’une voix fluette, acide, il dit :

— Qu’est-ce que vous faites ici, vous ?

Et, se reprenant, il ajouta :

— Ah ! ah ! Parfaitement, c’est vous.

L’interrogatoire que j’eus à subir fut sans intérêt dramatique, et je ne le raconterai pas dans sa forme, pour ne point accumuler trop de détails inutiles et monotones dans ce récit.

Tout en marquant son complet mépris de ma chétive personne et de l’humilité de ma condition, je dois dire que le juge, gras et rose, ne s’acharna pas trop contre moi, du moins contre ma culpabilité. Après un quart d’heure de questions humiliantes et de petites tortures criminalistes, il finit par me mettre hors de cause dans cette affaire. Je compris que je n’étais pas pour cet homme un criminel assez retentissant et confortable. Je ne lui faisais pas honneur ; je ne flattais pas sa vanité de tortionnaire… D’ailleurs, il avait trouvé dans le camelot, non pas