ses oreilles, il déposa sa plume dans un plumier et se mit à ranger quelques papiers, — interrogatoires falsifiés, dépositions altérées — avec des mouvements brusques.
Et tandis que j’attendais, je songeais :
— Est-il donc possible que ces deux êtres qui sont là, devant moi, aient une maison, une famille, des amis, des passions ?… Sont-ils même vivants ?… Est-ce qu’ils vont au théâtre, à la campagne ?… De quelle matière grossière sont-ils fabriqués ? Au moyen de quel mécanisme remuent-ils les bras, les jambes, la tête ?… Souvent, dans les foires de mon pays, j’ai vu, sous les tentes d’un jeu de massacre, des fantoches, gonflés de son ou de crin, qui semblaient vivre, penser, aimer, comprendre davantage que ces deux bonshommes-là… Est-ce que jamais ils ont parlé d’amour et de rêve à une vierge, à une fleur, à un rayon de lune ?
J’aurais voulu les toucher, faire jouer leurs articulations, écouter le tic-tac de leur poitrine.
Et la pièce était tapissée d’un papier vert, ignoblement vert… et, par l’unique fenêtre aux rideaux jaunissants, j’apercevais, sous un ciel gris, parmi d’errantes fumées, des toits, des cheminées, toute une population difforme de tuyaux, de girouettes, d’appareils en zinc, dont les mouvements, les girations, me représentaient quelque chose de véritablement plus humain que ces deux hommes, mornes et glacés,