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comme les robes des juges et des avocats soufflent, dans leur vol sinistre, un vent qui fait frissonner !…

En croisant le camelot, j’eus réellement pitié de lui… Bien sûr, il avait tué la vieille femme aux tapisseries… Je ne pouvais plus douter de son crime… Mais qu’était cette vieille femme, que faisait-elle, à quoi était-elle utile dans la vie ?… Je l’avais rencontrée deux fois dans l’escalier de l’hôtel. Elle m’avait paru revêche et grognonne, et, tout de suite, j’avais détesté ses lèvres sèches et ses deux petits yeux cruels… Le camelot, lui, en dépit de certaines tares de misère, semblait un joyeux drille… Il avait un air de bonhomie gouailleuse, de cynisme bon enfant qui m’était plutôt sympathique… Bien des fois, en sortant de sa chambre, il chantait des airs gais, de sautillants refrains, indice, après tout, d’une conscience calme et sans haine… En tuant la vieille, il avait peut-être des raisons profondes, si profondes, qu’il ne les soupçonnait même pas…

J’ai souvent pensé, depuis ces heures troublées, où tant et tant de choses avaient surgi en moi et devant moi, j’ai pensé que l’assassinat pouvait bien être, comme la tempête, comme les épidémies, une loi mystérieuse, une force économique de la nature. La nature, dont nous ne connaissons pas, dont nous ne connaîtrons jamais les desseins, élit certains hommes, arme certains