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la femme et les gosses, qui ne savent pas, bien sûr, ce que je suis devenu et qui doivent me croire mort ! Sans ça, mon Dieu, dormir là ou ailleurs !…

— Vous avez l’air malade ? lui dis-je. Et vous toussez !

— Si je suis malade ?… Parbleu !… Comment voulez-vous que je ne sois pas malade ?… Il faudrait que vous voyiez notre logement !… L’atmosphère est tellement viciée où nous vivons, que, chaque matin, quand je me réveille, ayant d’ailleurs mal dormi, j’ai toujours la sensation d’une petite asphyxie… Ce n’est que dans la rue, en allant à mon travail, et après avoir pris deux ou trois verres, que, peu à peu, mes poumons parviennent à se décrasser des poisons absorbés pendant la nuit… Et vous pensez si j’y vais gaiement, au travail, avec le front serré, la gorge sifflante, l’estomac mal en train, les jambes molles !… Et comment voulez-vous aussi que les enfants ne soient pas malades !… Et la femme, je me demande où elle trouve la force de résister à ce lent et continuel empoisonnement. Moi, ça va encore, parce que je me saoule de temps en temps, et que de me saouler ça me nettoie la carcasse… Mais la femme !… Mais les gosses !… Ils n’ont pas toujours de quoi manger à leur faim !… Ça, c’est vrai, que si je buvais moins, ils pourraient peut-être manger plus !… Mais, si je ne buvais pas, il y a longtemps que je serais