Page:Mirbeau - Chez l’Illustre écrivain, 1919.djvu/256

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cache sous son luxe menteur, comme une femme cache sous le velours et les dentelles de son corsage le cancer qui lui ronge le sein. Pour ne pas entendre les cris qui montent des enfers sociaux, Paris étouffe le lamento de la misère dans l’orchestre de ses plaisirs… Aucune voix de pauvre diable ne traverse, ne peut traverser le bruit continu des fêtes et le remuement d’or des affaires…

Et comment verraient-ils la misère ?… Savent-ils seulement qu’il existe, entassés dans des demeures trop étroites et malsaines, des milliers et des milliers d’êtres humains pour qui chaque aspiration d’air équivaut à une gorgée de poison, et qui meurent de ce dont vivent les autres ?… Le triste poète, à ma gauche, dormait maintenant profondément… À ma droite, un homme, maigre, au teint plombé, vêtu d’un bourgeron de travail, toussait avec de pénibles efforts. Je lui demandai pourquoi il était ici et quel était son crime :

— C’était la paye hier, répondit-il d’une voix sifflante… Je me suis saoulé comme de juste… Et je crois bien que j’ai eu des mots avec un agent qui me bousculait… Il me semble que je l’ai appelé : « Vache !… »

D’abord, j’étais saoul et je chantais. Ensuite, pourquoi m’a-t-il rudoyé ?… Je ne lui disais rien !… Est-ce qu’il est défendu aux pauvres de chanter, maintenant ?… Ce qui m’embête, c’est