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remplir d’adoration et de dévouement les grands cœurs…

Ah ! je ne regrette pas cette journée passée au Dépôt. Elle m’a permis de voir de la misère que l’on ne peut même pas soupçonner au dehors. J’ai vu de pauvres petits enfants de six, de huit et dix ans, enfermés dans des couloirs étroits, obscurs et puants, avec des galvaudeux plus âgés et vicieux ; j’ai vu des misères sordides, des êtres en loques, hâves, décharnés, d’ambulants cadavres, de frissonnants spectres, sortis de quels enfers !… Ah ! on se le demande. Quand une société enferme dans une telle promiscuité de débauches des enfants de six ans avec des adolescents déjà corrompus, a-t-elle le droit de se plaindre si elle ne récolte, plus tard, que des mendiants, des sodomistes et des assassins ?… A-t-elle surtout le droit de les punir ?…

À Paris, les philosophes de l’optimisme meurtrier ne voient pas la misère… Non seulement ils ne la voient pas, ils la nient !…

— Nous avons décrété l’abondance générale, disent-ils ; le bonheur fait partie de notre Constitution… Il est inscrit sur nos monuments, et fleurit gaiement à nos fenêtres, enseigne nationale… Il n’est de pauvres que ceux qui veulent l’être, que ceux qui, malgré nous, s’obstinent à l’être… Ce sont des entêtés !… Par conséquent, qu’ils nous laissent tranquilles.

Et comment verraient-ils la misère ?… Paris la