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pauvre, qu’à la condition d’être riche !… Le Dépôt, c’était véritablement, pour moi, la fissure de lumière par où je plongeais jusqu’au fond du gouffre de misère… Et je fus effrayé… et je sentis, en mon âme, comme un découragement !

Près de moi, il y avait un homme qui n’avait pas bougé, non plus, de toute la nuit. Il était là, quand j’étais entré. Il se tenait assis, sur le plancher, le dos appuyé au mur, la tête dans ses mains, et il paraissait dormir… Je ne fis pas d’abord attention, étant trop occupé de moi-même, et du camelot, et des figures sinistres qui allaient et venaient ainsi que des bêtes fauves dans des cages. Ce ne fut que vers le matin, lorsque le gaz s’éteignit, qu’il remua un peu ses jambes, raidies par l’immobilité, et qu’il recula, contre la muraille, ses épaules meurtries et ankylosées… Je le vis alors, je vis son visage, si tant est qu’on puisse dire de cette face humaine que ce fût un visage : des yeux las et comme voilés, une peau fripée et jaune, une courte barbe, terne et rare, qui ressemblait plutôt à une maladie dartreuse qu’à une barbe. Lui aussi me vit, du moins il me regarda ; il me regarda longtemps et fixement, sans que j’eusse la sensation qu’il me vît. Malgré son manque d’expression, ce regard exprimait une grande douceur, triste et résignée. Cela venait sans doute de ce que le regard étrange de cet homme n’exprimait rien, et je remarquai sur