Page:Mirbeau - Chez l’Illustre écrivain, 1919.djvu/248

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Après tout, il a peut-être bien fait de la tuer. Je ne sais pas… Je ne le dénoncerai pas… Ah ! ma foi, non !… Qu’ils s’arrangent tous les deux, la justice et lui !

Je n’avais pas bougé de mon coin, pris, tout entier, par l’imprévu de l’aventure et du spectacle si nouveau qui s’offrait à moi. Je puis dire que c’était la première fois que je voyais de la misère, de la misère totale, et comme il n’en existe réellement qu’à Paris.

En province, dans les petits bourgs et dans la campagne, la misère n’est que relative, parce que, riche ou pauvre, tout le monde s’y connaît… Et puis, les champs, les forêts, les vieilles masures abandonnées, les huttes de cantonnier, les troncs des arbres morts, ont, tout de même, de l’hospitalité !… Les vagabonds trouvent des cavernes pour s’y tapir, des fruits aux arbres, et dans les maisons, presque toujours, un morceau de pain… À Paris, ils ne trouvent rien. Les individus ont trop de hâte, trop de fièvres, trop d’affaires, pour songer à être bons. L’État fait de la charité une sorte de citadelle inaccessible. Pour y parvenir, il faut des mots de passe qu’on ignore, des cartes d’identité, il faut passer par des filières administratives, des stations dans les bureaux, être électeur, payer des contributions, posséder des certificats de bonne vie et mœurs, pour avoir droit à un secours !… À Paris, on ne peut se payer le luxe d’être