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pour lui. Ensuite, une vieille femme, vêtue de guenilles, le visage décharné, survint, marchant péniblement sur le trottoir. Ce qui lui servait de vêtements ruisselait de pluie, alourdissait encore son allure lourde et chancelante… Elle avisa le tas qu’avait méprisé le chien, s’arrêta, courba son échine très âgée, et se mit à fouiller dans l’ordure avec ses mains. Que cherchait-elle ? Comme tous les pauvres maudits qui gardent, en eux, l’impossible espoir des trouvailles libératrices et qui voient luire la fortune dans les déchets, dans les vomissures des maisons, peut-être espérait-elle trouver un objet de prix qu’elle aurait pu vendre, ou simplement un morceau de pain qu’elle aurait pu manger !… Je la regardais avec une curiosité pitoyable, et la pluie qui tombait plus fort, à ce moment, s’acharnait sur sa robe qui, collée, laissait voir sa déplorable ossature… Sa main fouillait, comme un crochet, l’ordure… Tout à coup, elle agrippa une orange dont la moitié était pourrie et couverte de moisissures !… Elle en essuya l’ordure sur l’ordure de sa manche et vivement, avec un geste d’affamée, elle la porta à sa bouche, et se mit à la manger avidement, voracement, gloutonnement… J’eus le cœur étreint par une grande angoisse… Je n’avais pas imaginé que les pauvres en fussent arrivés à cette infamie de la pauvreté qui leur jetait la bouche aux ordures de la rue !… Je tâtai si j’avais