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ches comme de la matière solide, âpre et gluante. Quant à l’impression morale que j’en ressentis, ce fut pire encore. Longtemps, je fus accablé comme sous le poids d’une chose trop pesante et douloureuse.

Ce qui, dans ce grouillement humain, apparaît plus que le vice et le crime, c’est la pauvreté, la détresse infinie où la société peut précipiter des êtres vivants et qui ont, si rudimentaires, si déformés qu’ils soient, un cerveau et un cœur, de la pensée et de l’amour !… Ces deux choses mystérieuses et qui font la créature humaine, il n’est pas un regard où je ne les aie reconnues, même aux yeux des plus brutes et des plus déchus !… Et ces êtres qui, malgré tout conservent dans les ténèbres de leur raison et de leur conscience, une petite lueur, ou plutôt un reflet pâle et trouble de cette lueur d’humanité, on les traite comme on n’oserait pas traiter des rats ou des cloportes !… Ici, dans la promiscuité hideuse de ces salles, tous les âges sont confondus… À côté des vagabonds endurcis, des vieux routiers de la débauche et du crime, se voient des enfants, de pauvres enfants de douze ans, à qui il serait facile, pourtant, d’éviter de pareils contacts et qui, bien souvent, gardent, d’une seule journée ou d’une seule nuit passée dans cet enfer, une flétrissure éternelle… Ils sont entrés, ignorants et aussi purs qu’il est possible à de petits abandonnés de l’être, et ils en sor-