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seconde, en le regardant curieusement, comme on regarde une caricature, je ne songeai qu’il y eût, sous ce visage vulgaire, en ce grotesque exemplaire d’humanité déformée, qu’il y eût une force sociale… plus qu’une force sociale, mais la société tout entière, avec ses droits implacables de juger et de punir !…

J’y ai pensé depuis, bien des fois, à cette fiction abominable et terrifiante qu’on appelle : la société !… Et bien des fois, je me suis demandé par suite de quelles déformations morales, de quelles aberrances intellectuelles, ceux à qui la prétendue société délègue ses droits arbitraires de juger et de punir, ont-ils, tous, un air de parenté physique, une ressemblance matérielle qui fait que depuis plus de deux mille ans, toutes les faces de juges sont pareilles, et portent les mêmes tares sinistres d’iniquité, de férocité, et de crime !…

Cette observation ne s’applique pas à mon commissaire de police dont le visage, au lieu des tares professionnelles, se contentait de montrer des tares d’alcoolique, et une laideur rubiconde si joyeuse qu’il ne me vint pas à l’idée de trembler devant lui, comme quiconque, innocent ou coupable, doit trembler, jusqu’au tréfonds de ses moelles, devant le juge qui l’interroge…

J’examinais donc le brave commissaire, et je ne le voyais plus dans la chambre où il était