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Et il se remit docilement, mais un peu effaré, aux mains de l’agent…

Lorsque le palier fut déblayé, le commissaire referma la porte de la chambre qu’éclairaient maintenant deux bougeoirs, posés sur la cheminée, et une lampe à pétrole, sur une petite table encombrée, je me rappelle, de chiffons rouges. J’étais toujours flanqué de mes deux agents, et le cadavre gisait à mes pieds, sur le plancher où la mare de sang s’élargissait… Le magistrat prit une chaise, s’assit en face de moi, s’épongea le front, souffla… Et, après m’avoir considéré avec attention durant quelques secondes, il dit :

— Voyons ça !… voyons ça !… À nous deux, maintenant.

Je n’étais pas ému… Et même, à cette minute tragique, j’avais l’esprit très libre… Je dois avouer aussi que le cadavre ne me terrifiait plus… Il ne me donnait pas d’autre idée que celle d’un vieux meuble brisé, d’un vieux tapis déchiré… Non, en vérité, je n’avais plus la sensation que cette chose inerte eût été une personne vivante… Toute ma curiosité allait vers le commissaire, vers sa face ronde et couperosée, où l’alcool avait déposé des couches de bistre, vers sa chaîne de montre qui pendait sur son gros ventre, et vers son pantalon qui, tendu sur ses larges cuisses courtes, faisait, aux jarrets ployés, des rides crapuleuses… Pas une