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Et tout cela qui se passait autour de moi était si nouveau, si étrangement nouveau, et si grimaçant, si incohérent, qu’il ne m’était pas possible d’admettre que je ne rêvasse point… Toutes ces figures, je me rappelle, n’avaient plus pour moi la moindre consistance corporelle… C’étaient des ombres qui se déformaient au moindre souffle du vent entrant par la porte, et qui s’évanouissaient pour se reconstituer ensuite, fuligineuses… Je les suivais, comme on suit, dans l’air, les fumées, les nuages ou les brumes qui montent, le matin, des rivières…

Le camelot, actif et terrible, vint à moi, m’obligea à me lever, et, m’empoignant l’épaule d’un geste rude :

— Comment l’as-tu tuée ?… Pourquoi l’as-tu tuée ?… Réponds !…

Comme je restais muet :

— Allons ! réponds… insista-t-il.

Et il me secouait l’épaule à me briser la clavicule. Il me semblait aussi que ma cervelle clapotait dans mon crâne, comme de l’eau remuée… J’avais le vertige…

— Réponds donc !…

Machinalement, je répondis :

— Je ne sais pas… Je ne sais pas !…

Triomphalement, le camelot se tourna vers les curieux, et, les prenant à témoin de mes paroles :

— Vous voyez ! dit-il… Vous entendez !… Il avoue !