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Et, à ce moment-là, chose extraordinaire, devant ce cadavre encore chaud, et mutilé, devant ce sang répandu, devant ces traces de lutte, il ne me vint pas à l’esprit que la vieille avait été assassinée, comme si ces choses-là étaient naturelles, qu’elles avaient dû s’accomplir d’elles-mêmes et toutes seules !

Je commençai par ramener sur le ventre nu de la vieille femme sa chemise roulée, déchirée et sanglante, et, prenant le cadavre dans mes bras, la face, la poitrine, les mains barbouillées de sang visqueux, je m’ingéniai à le soulever, à le traîner, afin de pouvoir le déposer sur le lit… Deux fois, je le laissai retomber avec un bruit sourd… Ploc !…

— Je veux en avoir le cœur net… je veux en avoir le cœur net !… chantait en moi la voix de plus en plus obstinée.

Et, comme, pour la troisième fois, je tentais d’enserrer le cadavre trop lourd pour mes bras débiles, une main, tout à coup, se posa sur mon épaule, pesamment.

Je poussai un cri et me retournai… Et je vis deux yeux féroces et gouailleurs, une barbe sale. une bouche ignoblement tombante, la bouche, la barbe, les yeux de mon voisin, le camelot…

— Ah !… ah !… fit-il, je t’y pince !…

Puis :

— Qu’est-ce que tu fais ici ?…

L’étonnement ne me permit pas de parler,