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ries, — était couchée sur le plancher, la gorge largement fendue par une blessure où le sang se caillait en noirs et luisants grumelots. Elle était à peu près nue et très pâle de peau… Sur sa pauvre gorge couturée, sur sa poitrine maigre, sur ses bras osseux, sur son ventre plissé, dans ses cheveux grisonnants, partout du sang… des éclaboussements de sang… Je me souviens que sa main baignait, tout entière, dans une mare rouge qui s’étalait autour d’elle, sur le plancher…

Je pensai défaillir, mais faisant appel à tout mon courage, à toutes mes énergies, je me précipitai sur la vieille femme, je me penchai pour voir, pour sentir qu’elle n’était pas morte… qu’elle respirait encore, peut-être !… Je tenais le bougeoir dans ma main droite et, en me penchant sur la vieille femme, je me rappelle qu’une goutte de cire liquide tomba sur son œil grand ouvert, sur son œil terrifié où elle se figea, blanchâtre, comme une taie.

Et toujours en moi cette phrase qui ne me quittait pas, et qui, maintenant, sautillait en moi, comme un refrain de chanson :

— Je veux en avoir le cœur net… je veux en avoir le cœur net !…

Je posai le bougeoir près du corps et je me mis à le tâter en toutes ses parties… Les membres étaient encore chauds et souples… Mais le ventre se refroidissait et le cœur ne battait plus ! La