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effroi particulier ; c’est que j’ai toujours eu, non pas, peut-être, la terreur, mais l’invincible dégoût des pieds nus. Je ne saurais expliquer pourquoi… mais je n’ai jamais pu voir des pieds nus, sans qu’aussitôt ils évoquassent en moi les images si singulièrement effarantes, cauchemardantes, de l’Embryon… des analogies avec les larves, les fœtus… oui, tout le cauchemar angoissant et horrible de l’incomplet, de l’inachevé !

Je fus quelque temps à pouvoir détacher mon regard de ces pieds qui, d’abord rigides comme des pieds de mort, me parurent ensuite, à force de les regarder fixement, doués d’une vie douloureuse… Du moins, il me sembla bien — mais il se peut que la lumière dansante de la bougie m’ait donné cette illusion — que le gros orteil du pied gauche eut, à plusieurs reprises, des mouvements de crispation, et faut-il l’écrire ? — des grimaces, de véritables grimaces, ainsi qu’un visage… Enfin, m’habituant à cette lueur étrangement mouvante de la bougie, qui déplaçait et les couleurs et les formes, il me sembla aussi que ce bout de linge blanc dont j’ai parlé était tout tacheté de sang…

Décidé à savoir, je me portai en face de la chambre, et, tendant la lumière au bout de mon bras allongé, dans l’ombre de la chambre, je vis ceci :

Une femme — la vieille femme aux tapisse-