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J’ouvris la porte, et me trouvai sur le palier. La veilleuse était éteinte… Une ignoble odeur d’huile brûlée me fit broncher, comme un jeune cheval l’odeur d’un cadavre dans la nuit…

Et, perdu dans cette ombre, je me sentais tout tremblant… tout tremblant… tout petit… tout petit !… Ah ! si petit !…

Je n’osais plus, je ne voulais plus, je ne pouvais plus avancer ; la nuit du palier pesait sur moi plus lourde, plus écrasante, qu’une chape de plomb… Et le silence était si profond que j’entendais, réellement, ramper les insectes noirs sur les murs…

Pourtant, le courage ne tarda pas à me revenir ; le désir de savoir ce qui s’était passé là, de connaître la raison de ces cris, de ces appels, de ces chocs sourds, dissipa ou plutôt galvanisa ma terreur… Après tout, j’avais peut-être été victime d’une hallucination… Mais je voulais en avoir le cœur net, comme disait ma mère chaque fois qu’elle se trouvait en présence d’un événement embrouillé, de quelque chose qu’elle ne comprenait pas et dont elle avait l’obsession de la comprendre… Si je mentionne ce souvenir, qui peut paraître puéril ou déplacé en un tel récit, c’est que je me rappelle — comme si je les revivais encore, — que, durant ces tragiques minutes, j’avais, en moi, la hantise de cette phrase stupide et que je me répétais sans cesse, d’une voix intérieure, mais obstinée, ces mots : « Je