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prévalut. Quant à moi, selon les bonnes traditions de la famille, je n’avais même pas été consulté. Bien d’autres eussent été heureux de partir d’une maison où ils n’étaient pas aimés, heureux de conquérir leur liberté et de donner à leurs rêves de jeunesse l’essor magnifique… Eh bien, cette décision, je l’acceptai avec la plus complète indifférence et — cela vous paraîtra, peut-être, extraordinaire — sans la moindre curiosité. Là ou ailleurs, que m’importait !… Puisque j’avais déjà pris l’habitude de ne pas vivre parmi les hommes et parmi les choses… puisque je sentais que je ne pourrais vivre qu’en moi-même !

Ce fut ma mère qui m’installa à Paris, n’ayant pas, pour cette délicate mission, confiance en mon père, lequel « ne faisait jamais que des bêtises, et n’avait pas la moindre idée de ce qu’est l’argent »… Elle profita de ce voyage pour renouer connaissance avec ces vieux amis de la famille, les braves merciers du Marais, chez qui le commerce n’allait pas, et dont, plus tard, — à la suite des circonstances infiniment burlesques que j’ai racontées — je devais épouser la fille. Nous fûmes bien accueillis. Chacun se remémora un tas de vieilles choses oubliées et, dans un attendrissement général, il fut convenu que je viendrais, chaque dimanche, dîner en famille, avec ces vieux amis de la famille, que diable !…