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dans toutes ses paroles, la hâte qu’elle avait de se débarrasser de moi… Pourquoi ? Est-ce que je la gênais ? Est-ce que je la contrariais en quoi que ce fût ? Cela me fit de la peine, non pour moi, je vous assure, mais pour elle… Je n’aimais pas à la surprendre en flagrant délit d’égoïsme et de dureté. Aux objections, d’ailleurs, de plus en plus indécises de mon père, elle répliquait :

— Une place comme ça !… C’est une chance incroyable… une occasion unique. Si nous n’en profitons pas, nous l’aurons toujours sur les bras !… Que peut-il devenir ici, sinon manger de la nourriture qu’il ne gagne même pas !…

— Enfin, il t’aide… Il tient tes livres !

— Eh bien… ! il ne manquerait plus que ça !

— Oui, mais, Paris !… Paris !…

— Voilà-t-il pas une grande affaire ?… Il s’arrangera, donc !…

Or, cette chance, cette occasion unique, cette place obtenue, grâce à je ne sais plus quelles recommandations de curés, c’était une place moitié de comptable, moitié de copiste, dans une administration dont après trois ans je n’ai jamais pu savoir ce qu’elle administrait, et si elle était commerciale, industrielle, financière, artistique, politique, religieuse, militaire, maritime, coloniale, étant un peu tout cela, et bien d’autres choses encore…

Naturellement, ce fut l’avis de ma mère qui