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première marche de l’escalier… Je piétine, je piétine, je m’épuise en efforts d’inutile ascension… Mes jambes vont l’une après l’autre, avec une rapidité vertigineuse… Et je ne monte pas !… La sueur ruisselle sur mon corps, la respiration me manque… Et brusquement, je me réveille… le cœur battant, la poitrine oppressée… la fièvre dans toutes mes veines où le cauchemar galope… Tels sont mes rêves, la nuit ; tels sont toujours mes rêves !… Pourquoi ces rêves, et jamais d’autres ?… Y a-t-il donc un symbole dans les rêves ?

J’en ai dit assez, je pense, sur mon adolescence solitaire, rêveuse et triste, pour bien faire comprendre le pauvre être silencieux, ignorant, timide et passionné que j’étais, lorsqu’il fut, un beau soir, décidé par mes parents que j’irais à Paris. Je dis mes parents et ce n’est exact que pour l’un d’eux, car mon père n’approuvait pas ce départ, et il invoquait, à l’appui de sa résistance, des raisons comme celle-ci, qu’il émettait, du reste, la bouche molle, le regard incertain, avec l’air de « s’en fiche », si je puis dire :

— Il est bien trop bête, pour aller à Paris… Pour un autre, parbleu ! Paris serait la fortune !… Ah ! si j’avais été à Paris, moi !… Mais lui !… Que veux-tu qu’il fasse à Paris !… Jamais il ne se reconnaîtra dans les rues de Paris… Ah ! le pauvre enfant !…

Ma mère était d’un avis différent… On sentait,