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et que mes dents — celles, du moins, que je n’ai pas perdues, — sont devenues toutes noires et pareilles à des racines d’arbuste mort… Et voyez combien il y avait peu de vie physique en moi, ce qu’il y avait en moi peu de sève : ma barbe n’a pas poussé ! Enfant, j’avais l’air d’un vieillard ; vieillard, je ressemble à un enfant malade !… Et pourtant, quel est l’être humain en qui se soient concentrées plus de flammes que dans ce corps chétif que je suis, plus de flammes dévoratrices et meurtrières, et qui soit allé, comme moi, jusqu’au bout de son désir ?…

Chose curieuse, autant mes rêves, dans l’éveil, étaient exubérants et magnifiques, autant, dans le sommeil, ils étaient plats, pauvrement et douloureusement plats ! Je n’avais alors et je n’ai encore maintenant que des rêves d’inachèvement, que des rêves d’avortement !… Je ne pouvais et je ne puis saisir quoi que ce soit, dans mes rêves, ni rien étreindre, ni rien atteindre, ni rien toucher !… Et, par un contraste bizarre, ce ne sont, dans ces rêves-là, que des représentations vulgaires, des figurations inférieures de la vie !…

Ainsi, me voilà dans une gare… Je dois prendre le train… Le train est là, grondant, devant moi… Des gens que je connais et que j’accompagne, montent dans les wagons avec aisance… Moi, je ne puis pas… Ils m’appellent… Je ne puis pas, je suis cloué au sol… Des em-