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ressentais, à les éprouver, d’obscures et mortelles terreurs.

Mais je restais chétif, de nature rétrécie, de membres grêles et insuffisants, de muscles mous ; j’avais, comme aujourd’hui — car je n’ai pas vieilli, étant né vieux — la peau étiolée, fripée et toute grise, mes veines charriaient un sang pauvre et mal coloré ; mes poumons respiraient avec effort, comme ceux d’un pulmonique. Toutes ces tares physiologiques, je les attribue à cette tension permanente de mon cerveau qui, de tous mes organes, était le seul qui fonctionnât… Étant toujours assis, je n’ai pour ainsi dire pas grandi, et à seize ans, mon dos était voûté ainsi qu’un dos de vieillard…

Hier, en fouillant dans un tas de choses inutiles et depuis longtemps mises au rebut, j’ai retrouvé une photographie de moi, faite, à cette époque, sur le désir de ma mère, par un photographe ambulant. Pourquoi ma mère a-t-elle eu cette idée bizarre de faire fixer mon image d’enfant, qui accuse son atroce égoïsme, et ce que sa maternité eut d’insensible et d’imprévoyant ?… Cette photographie est un peu effacée et toute jaune. Mais les traits et l’expression du visage demeurent sur le fond disparu. Eh ! bien, je n’ai pas changé… Je suis tel que j’étais alors… un petit vieux triste et fané. Non, en vérité, je n’ai pas vieilli, sinon que mes cheveux, rares d’ailleurs, ont pris une teinte ternement blanchâtre,