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Quant à Bijou, je ne le gardai pas longtemps… Il mourut, par une triste nuit, entre mes bras ; il mourut pour, en fouillant dans les ordures de la rue, avoir avalé un morceau de verre.

Son agonie fut quelque chose d’horrible. Dans mes bras, il avait des plaintes, comme un petit enfant, et il me regardait, avec des supplications si douloureuses, que je pleurais à chaudes larmes, en criant :

— Bijou ! Bijou ! ne meurs pas… Tu me fais trop de peine… Ou si tu meurs, ne me regarde pas ainsi !… Bijou ! Bijou ! mon pauvre Bijou !…

Quand il fut mort, je redevins plus seul que jamais !… Et d’avoir connu l’amitié d’une petite bête, la solitude me fut quelque chose de plus pesant et de plus atroce.

C’est ainsi que je fus amené, peu à peu, par la privation de tout amour, à ne vivre qu’en moi-même, à me créer des figures, des aventures et des paysages purement intérieurs. Toute la journée, dans une petite pièce sombre qui donnait sur une cour noire et sale, occupé à la tenue des livres et à la correspondance commerciale, travaux que je finis par rendre absolument mécaniques, je ne sortais jamais plus, dans la ville ni dans la campagne. Depuis le départ de M. Narcisse, il n’y avait plus de fleurs chez nous, non, même plus de fleurs, sinon le bouquet nuptial de ma mère, qui se désagrégeait, sous un globe, dans la salle à manger… La sorte de petite