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— Vous voyez, mes braves gens, que nous sommes guéries, et que vous n’avez plus besoin, dorénavant, de nous racler la gorge, et de nous introduire ces horribles boulettes qui nous dégoûtent et nous font si mal… Admirez comme nous sommes de vaillantes poules, et quel appétit est le nôtre… Remportez vos boîtes, vos fioles, vos pinceaux !… Ah ! ah !…

Et, en effet, je ne m’étais pas trompé. Elles faisaient semblant de manger d’un appétit furieux, en tapant du bec, frénétiquement, dans l’augette qui, peu à peu, se vidait.

La bonne femme, qui n’était pas une observatrice, fut prise à cette supercherie. Elle dit joyeusement :

— Ah ! mes poules sont guéries !…

— Pas du tout !… protestai-je. Elles ne sont pas du tout guéries… Regardez-les bien… Elles font semblant de manger, dans le but d’éviter vos soins qui les embêtent.

— Tu es fou ! Des poules !

— Mais regardez-les !…

— C’est ma foi vrai ! s’écria la bonne femme, Ah ! les garces !

Et depuis ce jour, je n’ai pu, sans pleurer, voir un poulet à la broche… Est-il possible que l’homme ose se nourrir avec de l’intelligence, de la volonté, du caprice, de l’ironie, et toutes ces choses délicieuses qui sont dans l’âme des bêtes !…