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naire, des idées humaines. Ils dirent que, se nourrissant et se reproduisant à peu près comme l’homme, ils doivent penser comme lui. La vérité est que les bêtes doivent penser selon leur forme : les chiens en chien, les chevaux en cheval, les oiseaux en oiseau. Et voilà pourquoi nous ne nous comprendrons jamais !

Les savants ont tiré de l’infériorité des bêtes, par rapport à nous, cet argument que, depuis qu’elles existent, elles font toujours les mêmes choses avec les mêmes mouvements, qu’elles n’inventent ni ne progressent. Le lapin creuse son terrier de la même façon qu’il y a dix mille ans, le chardonneret tresse son nid, l’araignée tisse sa toile, le castor construit sa hutte, sans apporter jamais la moindre modification dans la forme et dans l’ornement. Toute fantaisie, toute spontanéité individuelle, toute liberté critique semblent leur avoir été refusées ; et ils n’obéissent qu’à des rythmes purement mécaniques, lesquels se transmettent avec une précision déconcertante et une régularité servile, à toutes les générations de lapins, de chardonnerets, d’araignées et de castors. Qui nous dit que ce que nous appelons des rythmes mécaniques ne sont pas des lois morales supérieures, et que si les bêtes ne progressent pas, c’est qu’elles sont arrivées du premier coup à la perfection, tandis que l’homme tâtonne, cherche, change, détruit et reconstruit sans être parvenu encore à la sta-