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Ah ! qui expliquera jamais ce que c’est qu’un chien.

Quant à moi, je ne l’essaierai point. Pour pénétrer dans l’âme inconnue et charmante des bêtes, il faudrait connaître leur langage — car elles ont, chacune, un langage avec quoi elles nous parlent et que nous n’entendons pas.

Je sens très bien que cette incommunicabilité est une grande sagesse de la nature ; elle la préserve de mille catastrophes qu’il est facile de deviner ; elle la sauve, peut-être, de la destruction. Imaginez, ne fût-ce qu’un instant, l’œuvre de dévastation que l’homme pourrait entreprendre, s’il pouvait inculquer aux bêtes son génie de la mort ?… Mais c’est en même temps une chose très douloureuse, du moins, une chose qui m’est, à moi, très douloureuse. Je ne souffre jamais tant qu’en présence d’un cheval, d’une vache, d’un oiseau, d’une chenille, et de ne pas savoir ce qu’ils pensent, ce qu’ils désirent, et comment ils pensent et désirent. Cette ignorance me gâta, bien des fois, mon amitié pour Bijou.

Les physiologistes ont beau fouiller de leurs scalpels les entrailles, les organes, les muscles, le cerveau des bêtes, nous ne saurons jamais rien d’elles. La grande erreur et le grand orgueil aussi de ceux-là qui tentèrent d’étudier le fonctionnement de la vie intellectuelle chez les animaux furent de leur attribuer, à l’état embryon-