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douces et d’une absolue sécurité en songeant à cette amitié future, car j’avais remarqué que, de son côté, Bijou avait dû faire, avait fait, relativement à moi, des réflexions pareilles aux miennes. J’avais remarqué également cette chose touchante, et dont je vous garantis, à vous qui lirez ces pages, l’exactitude : lorsque, après la discussion qui s’était élevée entre mon père et ma mère, il avait été, enfin, décidé qu’on ne chasserait pas Bijou, qu’on le garderait à la maison, le petit chien avait dressé les oreilles, et remué la queue, en signe de contentement… Il avait tout compris, le cher animal !… Et il semblait se dire à soi-même :

— Voilà deux êtres grossiers, ridicules, ignorants, avares, qui ne m’aimeront jamais — car ils ne peuvent pas savoir ce qu’est le cœur d’un chien — qui me battront, peut-être !… Il n’importe, et qu’est-ce que cela me fait ?… S’il n’y avait qu’eux, parbleu ! il est bien sûr que je m’en irais à la première occasion !… Oui, mais il n’y a pas qu’eux…Il y a aussi un petit garçon… et dans ce petit garçon que voilà, dans ce petit garçon silencieux et triste, et bon, bon, bon, j’aurai un ami délicieux, un gentil petit ami qui me caressera, qui me parlera, qui me contera des histoires, et dont je sens que l’âme est comme la mienne, tendre et fidèle… et qui n’est pas bête non plus, et qui trouvera bien le moyen de me donner, de temps en temps, des morceaux