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Lorsqu’il entra dans la salle à manger, où nous étions ma mère et moi, mon père avait encore sa peau de bique, et il tenait le chien sous son bras gauche… Et c’était une chose étrange. Ayant aperçu ce nouvel hôte, ma mère s’écria, consternée :

— Qu’est-ce que c’est encore que ça ?

— Ma foi ! c’est un chien ! répondit mon père, qui était peu descriptif.

Et, tous les deux, ils s’invectivèrent âcrement.

Moi, pendant ce temps-là, j’observai que le petit chien qui semblait avoir très peur de mes parents semblait aussi me regarder avec sympathie… oui, avec sympathie, je l’affirme ! Il y avait, dans ses yeux, vifs, mobiles et graves, quelque chose comme une tendresse pour moi, quelque chose comme une prière vers moi… J’en fus ému et charmé, et je l’aimai, tout de suite, de sa confiance. Ah ! qui connaîtra jamais l’âme inconnue des chiens, et ce qu’elle contient de surhumanité merveilleuse ; mais il ne fallait pas que je songe à prendre sa défense. Il eût suffi que j’exprimasse devant ma mère, le désir de faire de ce chien un petit compagnon de ma pensée et de mes jeux, pour qu’elle s’empressât aussitôt de le chasser.

La dispute dura longtemps, et elle fut très vive. Le chien en suivait toutes les phases avec des regards effarés et suppliants, à la fois.

Il fut convenu, pourtant, qu’on le garderait,