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m’embrassait pour toutes ces fleurs cueillies par M. Narcisse.

Le dimanche, M. Narcisse dînait chez nous. Sur le désir de ma mère, il m’apprenait à calculer, si bien qu’au bout de peu de temps, surprise de mes aptitudes, elle me confiait en quelque sorte la tenue des livres de la maison. Ah ! ces dimanches, après toute une journée de travail, lorsque, le soir, après dîner, nous étions réunis autour de la table où nous jouions au bog ; où M. Narcisse, qui était très pauvre, n’ayant que son maigre traitement, passait par toutes les transes et par toutes les joies de la perte ou du gain !… Que tout cela m’apparaît mélancolique, aujourd’hui !… Un soir, je me souviens, la guigne s’acharna sur le misérable professeur. Il perdit trois francs, ce qui ne s’était pas encore vu ! Et ces trois francs, c’était mon père qui les avait gagnés… Narcisse ne les possédait pas. Il dut s’excuser.

— Quand on n’a pas le sou, on ne joue pas ! proféra mon père.

Et il s’exprima, en termes presque insultants, sur le compte de M. Narcisse.

Alors ma mère, très pâle, intervint.

— Ce n’est pas à toi de parler ! dit-elle à son mari… Puisque tu acceptes, lâchement, que M. Narcisse dirige l’éducation de notre fils pour rien…

— L’éducation de Georges !… s’exclama mon