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tremble… Elle me tenait la main avec une sorte de tendresse fiévreuse… Affectant de ne plus parler à mon père, elle dit encore…

— Et cette lune ?… Ça n’est pas ordinaire !… On devrait sortir, tous les soirs, dans la campagne !…

Et tout à coup elle m’embrassa, criant entre ses baisers :

— N’est-ce pas, mon petit Georges ?… n’est-ce pas ?

Je ne sais ce qui se passa en moi, et si ce fut la nuit, ou la lune, ou ces baisers furieux qui me remuèrent l’âme. Mais je fondis en larmes.

— Allons bon ! dit mon père… voilà l’autre qui pleure, maintenant !… Qu’est-ce que tu as ?… Pourquoi pleures-tu ?…

— Je ne sais pas, bégayai-je… C’est… c’est… la lune !…

Comme mon père, au comble de l’étonnement, se disposait à protester contre cette poésie qu’il jugeait ridicule, ma mère l’interrompit sur un ton bref.

— Tais-toi !… Tu devrais rougir… D’abord, toi, tu ne sens rien !…Tu es un gros mastoc !…

Nous rentrâmes silencieusement chez nous…

Quant à M. Narcisse, il était très bon avec moi et il faisait de son mieux pour me plaire. Naturellement, occupé de ma mère comme il l’était, il n’avait pas le temps de m’instruire sur le latin, mais il m’apportait des livres que je lisais, que