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soignée de sa personne, presque coquette… Et je ressentais de ces changements comme un plaisir… Ce qui me frappa aussi, c’est qu’elle devenait sentimentale et poétique… Bien des fois je fus étonné de la voir qui regardait les choses avec des yeux mouillés… Un soir, je me souviens, nous sortîmes après le dîner, mon père, ma mère et moi… C’était un soir très doux et plein de lune… Nous gagnâmes, hors la ville, les bords de la rivière… Après avoir marché longtemps, ma mère voulut s’asseoir sur le tronc d’un tremble abattu et qui barrait le chemin. L’eau, tout argentée, coulait lentement entre les rives herbues, avec un léger bruit d’harmonica… Une vapeur, bleu et argent, se levait des prairies… et le ciel était couleur de violette pâle… Je vois encore ma mère avec son châle noir, les pieds dans l’herbe, et qui, le menton appuyé aux paumes de ses mains, songeait… Au bout de quelques minutes de silence, elle dit :

— C’est beau tout de même, une belle nuit !…

Mon père répliqua, en haussant les épaules.

— C’est beau !… C’est beau !… Qu’est-ce qu’il y a de beau, dans cette nuit ? C’est humide… Voilà ce que c’est.

— Oh ! toi ! fit ma mère, avec un accent de souverain mépris.

— Et bien ! oui, moi… C’est beau pour les rhumatismes !

J’étais auprès de ma mère, sur le banc du