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bruits, les ombres, les objets, même familiers, prennent une intensité et des formes, ou plutôt, des déformations extraordinaires. Le cauchemar ou le simple rêve subsiste en eux avec toutes ses exagérations et ses incohérences… Que s’était-il passé ?… Qu’avais-je vu ?… Qu’avais-je entendu ?… Je ne saurais le dire exactement ; ce que je sais, c’est que, sous l’impression de quelque chose d’anormal qui m’effraya, un craquement du lit, des voix rauques, des voix étouffées qui venaient du lit, des voix qui ressemblaient à des gémissements et à des râles… je me dressai, soudain, hors des draps, et, soudain, d’une voix épouvantée, d’une voix qui appelait au secours, je me mis à crier :

— Papa qui bat maman !… Papa qui tue maman !

Un gros juron… Puis la lampe s’éteignit… Puis, dans les ténèbres :

— Veux-tu bien te taire, animal !… Veux-tu bien dormir, petit imbécile !… Qu’est-ce qui lui prend à ce petit imbécile ?

C’était la voix de mon père, une voix sourde, un peu haletante, et furieuse…

— Oh ! cet enfant ! cet enfant !… ce maudit enfant !

C’était la voix de ma mère.

Et ce fut, ensuite, un assez long silence. Oh ! l’angoisse, la terreur, l’effarement de ce silence, qui me parut durer des siècles et des siècles.