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forme, d’une bouche que je sentais indifférente et lasse. Souvent il ne m’embrassait même pas. Ah ! je le vois toujours avec sa grosse figure humble et servile et sa barbe malpropre, et sa toque, et sa peau de chèvre, qui lui donnaient l’air d’une grosse bête débonnaire et domestique !…

Ce fut ma mère qui me donna mes premières leçons… Elle avait la prétention de m’apprendre à lire et à écrire. Vous pensez avec quel succès ! Vous voyez d’ici quel maître calme et patient j’avais en elle. Elle voulait que j’eusse répondu à ses questions avant qu’elle ne les eût formulées… Elle ne souffrait pas que je réfléchisse un seul instant. Aussi, au bout de huit jours, après m’avoir administré sur les joues force gifles, et sur les doigts force coups de règle, elle déclara que j’étais trop bête pour apprendre quoi que ce soit.

— C’est son père tout craché ! répétait-elle… On n’en tirera jamais rien !…

Elle décida pourtant qu’on m’enverrait à l’école primaire chez les Frères. Là, je me montrai un élève studieux, rangé, intelligent, de quoi ma mère ne voulait pas convenir. Lorsqu’on lui parlait de moi avec éloges, elle s’emportait.

— Qu’est-ce que vous me dites ?… s’écriait-elle… C’est un enfant indécrottable, on n’en peut rien tirer… C’est son père tout craché !

Il y avait, dans la petite ville que nous habi-