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s’engageaient pêle-mêle, en troupes désordonnées, dans sa gorge, et fermaient l’orifice de ses lèvres de leurs masses agglutinées… Et elle quittait le salon, en coup de vent, claquait les portes ; et elle s’enfermait dans sa cuisine où, jusqu’à minuit, elle épanchait sa colère et ses rancunes en récurant furieusement ses casseroles… Puis, calmée, elle revenait se coucher près de moi… près de moi qui, sur des draps d’éclatante pourpre, sous des ciels de lit d’or, étreignais mes sublimes amantes, avec des cris de volupté ; et, souvent, jusqu’à l’aube, pauvre petite loque de chair abandonnée, elle pleurait, pleurait, pleurait !… Chose curieuse, rien de tout cela ne m’émouvait… Maintenant, je n’éprouvais plus, en mon cœur, ce sentiment de remords et de triste pitié qui, dans les premiers jours de notre mariage, m’avait, plusieurs fois, porté vers elle !…

Chaque dimanche, nous allions dîner chez les parents de Rosalie. Ils étaient toujours les mêmes, stupides et vulgaires, et il n’y avait chez eux de changé que le salon, où l’enlèvement du piano avait produit un vide… Par amour-propre, sans doute, ma femme n’avait pas voulu confier à son père, ni à sa mère, ce qui se passait chez nous… Ceux-ci la croyaient heureuse, et ils disaient souvent :

— On voit bien que c’est toi qui portes les culottes… D’ailleurs, c’est juste, car ton mari