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Le Valet de chambre. — Alors, c’est parfait !… Puisqu’elle va au teint et à l’âme de monsieur ?… Et que monsieur songe aussi au brouillard… Le brouillard atténuera la violence de cette cravate. C’est une cravate pour temps de brume, ou pour lumière voilée d’automne !… D’ailleurs, que monsieur l’essaie !

L’illustre Écrivain, se frappant le front. — Mais non ! Je ne peux pas ! Je déjeune, ce matin, chez le duc de Broglie !

Le Valet de chambre. — C’est vrai… Diable !

L’illustre Écrivain. — Trop voyante… trop crue… trop sportsman !… Cherche-moi quelque chose de fondu… de discret… d’académique !… Dans les noirs, par exemple, les bleus sourds…

Le Valet de chambre. — Je sais… je sais… (Après avoir comparé les cravates.) En voici une qui ne tirera pas de feux d’artifice, chez les ducs !… (Il la montre.) On dirait d’une phrase de M. Édouard Rod !

L’illustre Écrivain. — Un peu grave… un peu triste !… Mais, c’est ce qui convient, en effet. Dieu ! que le choix d’une cravate est donc difficile ! Comme il y faut de la prudence… de la diplomatie… de la psychologie !… Une connaissance exacte et profonde des milieux ! Se cravater, ça n’a l’air de rien… et c’est un des actes les plus importants de la vie !… (Il commence à mettre sa cravate.) On ne sait pas tout ce qu’une cravate, qui n’est point en situation… peut vous