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repasser dans des matrices vierges… Quand je serai arrivé au chapitre de mes idées et opinions, vous verrez tout ce que j’ai détruit, tout ce que j’ai reconstruit… c’est quelque chose d’effrayant et qui m’étonne souvent.

Quelquefois, ma femme — je continue à lui donner ce nom, — s’irritait de ce silence que troublaient seulement, de temps en temps, les bruits de la rue, un fiacre qui passait, une boutique qui se fermait, et la trompe lointaine d’un tramway. Et, tout d’un coup, fermant avec colère son bureau, ou jetant d’un geste rageur son ouvrage dans le panier, elle s’écriait :

— Est-ce une vie ?… Non… non… J’en ai assez à la fin !… Ça m’étouffe !… avoir un mari étalé comme un veau dans un fauteuil… et qui ne parle jamais !… Mais si tu étais impuissant, si tu étais incapable de faire une caresse à une femme, il fallait le dire ! Je ne puis plus !… je ne puis plus !…

Et comme je ne répondais pas :

— Mais dis donc quelque chose !… n’importe quoi ! ah misérable !… Il n’a même pas l’air de m’entendre !… Et ne jamais sortir… être toujours en prison, comme une criminelle !… Voyons : depuis que nous sommes mariés, qu’as-tu fait pour moi ?… Que suis-je ici ?… Pas même ta domestique… Quelque chose de moins qu’une chienne !… une domestique, on lui parle… une chienne, on la caresse !… Toi… ah ! toi… mais