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extraordinaires et tumultueuses, et je suis en état permanent de création… J’éprouve les sensations les plus fortes et les plus violents enthousiasmes… Il y a des moments où il me semble que je suis soulevé de terre, et que j’atteins aux cimes éblouissantes de l’absolu… Mais tout cela qui bouillonne en moi, demeure en moi, caché en moi, et n’apparait pas sur ma face et ne franchit jamais l’abîme de silence qu’est ma bouche.

Je ne dis donc rien à Rosalie… je ne lui dis jamais rien !

Nous ne parlions pas.

Un soir, pourtant, je lui parlai. C’était quinze jours après notre mariage. Je rentrais, comme de coutume, de mon travail. Et je trouvai Rosalie un peu pâle, assise dans sa chambre et qui pleurait.

— Pourquoi pleures-tu ? lui demandai-je… Est-ce qu’on t’a fait de la peine ?

— Non !

— Est-ce que tu es malade ?

— Non !

— Alors, pourquoi pleurer ?…

Et, tout à coup, se levant, elle se jeta dans mes bras, secouée par ses sanglots, comme par une grande fièvre, et elle me dit :

— Oh ! mon petit homme !… mon petit homme !… mon petit homme !…

Je fus très ému, et vraiment, à cette seconde, Rosalie resplendissait. Il y avait dans ses yeux