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corps triste, cette chair grenue, qu’un peu de pitié, qu’un peu de joie, qu’un peu de confiance eût transfigurées, pourquoi ne les ai-je pas attirées et retenues contre mon corps et contre ma chair ?… Et pourquoi ne l’ai-je pas saisie dans mes bras en lui disant :

— Mais non, tu n’es pas une femme effacée et grise, mais non, tu n’es pas laide, mais non, tu n’es pas une larve humaine, puisque tu pleures !… La souffrance et la joie, et la volupté, ont des pouvoirs magiques sur les êtres les plus dénués et les choses les plus repoussantes, et elles les transforment en beautés… C’est comme le soleil qui met de l’or sur les pires cailloux du chemin et qui change, en manteau de pourpre, les haillons sordides du mendiant !… Vois l’eau !… Est-ce que l’eau, l’eau des fleuves et des lacs, et l’eau des petites sources, sous les branches retombantes, est belle par elle-même, par elle seule ?… Elle n’est belle que par la lumière, par les frissons et les formes mouvantes de la lumière qu’elle reflète… Tu es, chère âme, une eau qui n’a rien reflété encore… Et voici, enfin, la lumière, je te donne enfin la lumière !…

La vérité est que j’aurais bien voulu lui dire tout cela… Je ne le pus… Je vous jure que, depuis qu’elle avait pleuré, je me sentais pour elle une immense pitié. Il me fut impossible de la lui exprimer… Je suis atteint d’une impuissance singulière… Il se passe en moi des choses