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vous verrez que c’est une chose bien monotone, bien ennuyeuse, et, parfois une bien sale chose… Mais auparavant, laissez-moi vous lire quelques pages de Pascal… C’est un auteur admirable, plein de beautés effrayantes, et que vous ne comprendrez jamais…

Je me mis à lire. Durant plus d’une heure, je continuai de lire, m’interrompant seulement pour regarder Rosalie et voir l’impression que cette lecture faisait sur son âme… Elle avait ses pauvres cheveux ternes relevés et noués par un petit ruban bleu sur le sommet de son crâne… Oh ! ce petit ruban bleu, qu’il était mélancolique !… Une fois, je vis les coques maladroites de ce ruban s’agiter comme mues par des soubresauts nerveux… Une fois, je vis les yeux de Rosalie se mouiller de larmes silencieuses… Une fois, je vis que Rosalie était endormie, la bouche ouverte, et soufflant une odeur fade… une odeur de pourriture !… Alors, je fermai le livre… Et, moi aussi, je m’endormis !

Telle fut la première nuit de nos noces !…

Je crois que j’aurais pu aimer ma femme, et je crois aussi que ma femme eût pu m’aimer… Elle n’était pas méchante, elle ne pouvait pas être méchante, puisqu’elle n’était rien. Elle pouvait être tout, de la passion, de la beauté, du rêve… Il fallait la faire naître à l’amour, voilà tout ! C’était une pauvre créature embryonnaire, à peine formée, à peine vivante,