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qu’est-ce que je ferai de mon salon, désormais ? Ça n’est pas bien, pour de vieux amis, de nous prendre ainsi à la gorge !… surtout quand vous savez que le commerce ne va pas !…

Je passe sur la cérémonie du mariage, sur la toilette blanche et sur le voile blanc, et la figure si pauvre, si grise, si effacée de Rosalie, dans le nuage nuptial… Et je passe aussi, sur le landau et le repas dans une gargote de la banlieue !… Ce fut simplement hideux.

Et j’arrive au moment où, pénétrant dans la chambre qui nous avait été préparée, je l’aperçus, couchée dans un lit, et sa tête — oh ! sa tête anxieuse et rêche à la fois — sortant hors des draps !…

J’avais apporté un volume qui, d’ailleurs, ne me quittait jamais… C’étaient les Pensées, de Pascal. Je déposai le volume sur la table de nuit, et, après m’être déshabillé, je me glissai, à mon tour, dans le lit, près de Rosalie… Rosalie, n’avait pas bougé. Elle ne me regardait pas… elle ne regardait rien. Elle tremblait un peu, et ses lèvres avaient un petit mouvement bizarre, comme en ont les moutons qui ruminent…

— Rosalie lui dis-je… savez-vous ce que c’est que l’amour ?

— Non !… je ne sais pas !… bégaya-t-elle.

— Alors, Rosalie, je vous l’apprendrai. Et quand vous connaîtrez ce que c’est que l’amour,