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l’encontre d’une opinion ou d’un désir exprimé par sa femme qui se chargeait de tout, dans sa maison, même de la besogne et des attributions qui incombent aux hommes. Cela, d’ailleurs, satisfaisait pleinement son inertie physique et mentale, et aussi sa peur des responsabilités.

Un jour, durant ces préliminaires interminables qui donnèrent à mon mariage de si beaux présages d’union et de bonheur, un jour qu’ils étaient, elle, à bout d’arguments, lui, à bout de gestes approbatifs, ma mère se tournant vers moi, s’écria :

— Et toi ?… Pourquoi ne dis-tu rien ?… Mais dis donc quelque chose !… Tu es là comme une borne !… C’est tout ton avenir qui s’engage, c’est toute ta vie qui se discute !… Et tu ne dis rien !… Et tu n’oses pas ouvrir la bouche !… Et tu n’es même pas à la conversation !… Et tu nous regardes comme des curiosités !… Voyons, dis quelque chose !…

Je ne savais que dire… Tout cela m’écœurait profondément… Je répondis :

— Ça m’est égal ! Tout m’est égal !

— Tais-toi, alors ! fit ma mère.

Enfin, au bout d’un mois, elle finit par arracher aux vieux amis, outre le trousseau, une somme de cinq mille francs, et le piano. Et j’entends encore le père de Rosalie balbutier, dans une affreuse grimace, et d’une voix de vaincu…

— Vous me saignez aux quatre membres… Et