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Le père s’obstinait :

— Il n’est ! pas juste de dire que je piano appartienne à Rosalie, tout entier… Nous avons mis cent cinquante francs, de notre argent, à nous !… Nous avons une part… Il ne sortira pas d’ici.

— C’est honteux !… Une telle avarice, ça n’a pas de nom !… Vous êtes un mauvais père !… Et tout cela, je vous demande un peu, pour un piano !…

— Mais mon salon ?… Alors quoi ?… ça ne sera plus un salon !

— Hé ! je me fiche un peu de votre salon !… Je ne pense qu’à ce qui est juste et au bonheur de ces enfants…

Et cela finissait par une crise de larmes, par une crise de nerfs, dans laquelle la pauvre Rosalie sanglotait, et pleurait de sa voix blanche :

— Mon piano !… Il est à moi !… Je l’ai payé… Je veux mon piano !

C’était ma mère qui, toujours, menait le débat… Elle était tout d’une pièce, hargneuse, tyrannique, et très violente. Jamais, en aucun cas, elle n’admettait la contradiction… Mon père, lui, hochait la tête, approuvait silencieusement par de petits gestes courts et vifs, comme s’il attrapait, au passage, des vols de mouches… C’était un excellent homme et qui n’avait sur n’importe quoi et sur n’importe qui, aucune espèce d’idées… Jamais il ne se fût permis d’aller à