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est-ce que le chardon n’a pas une beauté, une beauté plus forte que la rose, et plus émouvante et plus tragique ?

Je conviens qu’il eût été plus généreux à moi, et non seulement généreux, mais d’un sens artiste et humain, d’éprouver de la pitié envers Rosalie, et par la pitié de l’amour, au lieu de m’exciter contre elle à de vulgaires et méchantes moqueries… Car, pour les âmes hautes, rien n’est plus touchant, rien n’est plus sacré que les êtres qu’on appelle ridicules. On devrait les respecter et les plaindre comme on respecte les aveugles et comme on plaint les infirmes… Hélas ! qui donc plaint les infirmes ?… Les bossus, par exemple, ne sont-ils pas l’objet des rires de tout le monde ?… Ah ! je me demande aussi si je n’ai pas gaspillé, en cette pauvre bonne mentale qu’était ma femme, si je n’ai pas gaspillé, bêtement, d’immenses trésors de joie esthétique et d’amour !…

Naturellement, lorsqu’ils apprirent mon mariage, mes parents accoururent de leur province, fort agités et troublés. Ils ne le trouvaient pas à leur gré, ayant, paraît-il, rêvé pour moi « un établissement meilleur et conforme à notre situation sociale »… Même, ils s’indignèrent et m’accablèrent de reproches.

— À ton âge… caissier dans une bonne maison et de l’avenir devant toi… tu vas t’embarrasser d’une petite pimbêche, sotte et laide, et qui n’a pas