Page:Mirbeau - Chez l’Illustre écrivain, 1919.djvu/149

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

passaient leur temps à se plaindre que le commerce n’allait pas !… Certes, jamais, à aucun moment de ma vie, je n’ai entendu dire à un commerçant que le commerce allât bien… Le commerce ne va jamais bien… Il ne va pas, pour toutes sortes de raisons comiques et contraires ; il ne va pas, un jour, à cause de l’Angleterre, un autre jour, à cause de l’Allemagne ; ceux-ci accusent les monarchistes d’entraver, par leurs sourdes menées, le commerce ; ceux-là, les républicains, par leurs divisions… Si les Chambres sont réunies, quel malheur pour le commerce ! si elles sont en vacances, quelle catastrophe !… Ce qui n’empêche pas tous ces braves gens de faire fortune, en peu de temps.

— Eh bien ! comment ça va-t-il ? demandais-je, régulièrement, chaque dimanche.

— Ça va mal ! répondaient-ils.

— Vraiment ?… De quoi souffrez-vous ?

— Nous ne souffrons pas… mais c’est le commerce qui ne va pas !…

Et, de fait, par une exception fâcheuse, leur commerce, aux vieux amis de ma famille, n’allait pas du tout… Il n’allait pas, parce que, outre qu’ils étaient trop bêtes, ils étaient aussi trop laids.

On ne se doute pas du rôle déprimant que la laideur joue dans les relations sociales. Pour ma part, j’ai toujours remarqué que la laideur d’un boutiquier s’étend et déteint sur toute sa bou-