Page:Mirbeau - Chez l’Illustre écrivain, 1919.djvu/148

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’une voix pareille au bruit que fait, dans les fentes d’une porte, l’aigre-vent de Nord-Ouest.

— Qu’est-ce que tu as fait encore ?… Pour quoi rentres-tu si tard ?… Allons, dépêche-toi de descendre à la cave, pour le vin… Tu n’es bon qu’à çà !

Oh ! cette voix de ma femme, ces cheveux ternes de ma femme, cette bouche sans jamais un sourire de ma femme, et ces yeux de mouche charbonneuse de ma femme, et ces mains de ma femme, ces mains hideuses et sèches, lorsqu’elle prend les cinq cents francs que je rapporte, chaque mois, de ces cavernes pleines d’or, où je Vis !

Ma femme !

Je ne sais, en vérité, comment et pourquoi je l’épousai. Ou plutôt, je le sais. Ce fut par timidité, par faiblesse, et par cette incapacité absolue où je suis de dire : non ! à quelqu’un, de me défendre contre les gens et contre les choses.

Depuis dix ans que j’habitais Paris, tous les dimanches je dînais et passais la soirée chez de vieux amis de ma famille, petits commerçants dans le quartier du Marais. Cette obligation hebdomadaire m’était un supplice, mais, pour rien au monde, je n’y eusse manqué… Ah ! ces lamentables dimanches !… Et ces vieux amis, combien ils m’étaient à charge, combien ils me pesaient sur le crâne ! C’étaient de pauvres gens d’une stupidité incurable et hargneuse et qui