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vous savez combien on a peu de temps à soi, dans la vie… Pourquoi ne liriez-vous pas ce manuscrit vous-même ?

La veuve hocha la tête et tristement elle répliqua :

— C’est que moi, voyez-vous, je n’ai pas beaucoup de critique… Et puis, il faut tout vous dire, jamais je n’ai pu me faire à son écriture !…

Il y eut un court silence, durant lequel la veuve caressa d’une main embarrassée et timide les effilés de son châle, durant lequel je me caressai le front avec le manche d’un grand coupe-papier…

— Je me souviens bien, dis-je, gêné moi-même par ce silence… Votre mari était caissier dans une maison de commerce !…

— Oui, monsieur !…

— Est-ce que vous connaissiez ses goûts littéraires… est-ce qu’il en parlait devant vous ?

— Il ne parlait jamais de rien devant moi !… Il ne parlait jamais !…

— Ah !

Nouveau silence.

— Vous avez des enfants ?

— Non, monsieur… Heureusement… dans la position où je suis, qu’est-ce que j’en ferais ?… J’ai déjà bien assez de ce manuscrit.

Je ne crus mieux faire, pour me débarrasser de cette lamentable veuve, que de la prier de me laisser ce manuscrit. Je lui promis de le lire