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— Ah ! monsieur, me dit-elle, c’est un grand malheur pour moi, je vous assure !

Sa voix blanche, sans timbre, sans accent, m’étonna.

— Quand on a vécu si longtemps ensemble, continua-t-elle… une séparation si brusque… on a de la peine à s’y faire !

— Je vous crois, madame, et je vous plains infiniment.

Je la priai de s’asseoir. Elle ouvrit son châle, et j’aperçus un gros paquet, entouré de papier prune, qu’elle portait sous son bras…

— C’est un manuscrit, fit-elle en le posant sur ses genoux…

Elle ne vit pas, sans doute, l’expression de terreur qui se peignit sur mon visage, à ce seul nom de manuscrit, car elle poursuivit :

— Je l’ai trouvé dans un tiroir, ce matin… Lui aussi, monsieur, il écrivait !… Il écrivait ses mémoires !… J’aurais pensé à tout de sa part, excepté à cela… Il n’avait pas l’air de quelqu’un qui écrit des livres, bien sûr !… Car, enfin, vous qui le connaissiez beaucoup, qui étiez son meilleur ami, vous devez savoir qu’il n’était pas fort, le pauvre homme !…

Je m’inclinai avec un geste vague, qui pouvait être aussi bien un geste d’acquiescement qu’un geste de protestation.

— Ah ! ce qu’il en a commis des bêtises, dans sa vie, non par méchanceté — il n’était pas